Face au sionisme : la position catholique

Le 14 mai 1948, les Juifs de Palestine proclament l'indépendance de l'État d’Israël. Fait significatif : les six premiers pays européens à le reconnaître sont tous communistes (URSS, Tchécoslovaquie, Pologne, Yougoslavie, Roumanie, Bulgarie). Inversement, durant longtemps quatre États européens ne le reconnaîtront pas, et tous sont catholiques : l'Irlande, le Portugal, l'Espagne et le Vatican. Si l'Irlande reconnaît l'État sioniste en 1963, il faut attendre la chute des régimes nationaux-catholiques de Salazar et de Franco pour que le Portugal et l'Espagne reconnaissent Israël, respectivement en 1977 et en 1986.

Du côté du Saint-Siège, la position a été donnée dès 1904 par le pape saint Pie X dans son entrevue avec le fondateur du sionisme, Theodor Herzl :

« Nous ne pouvons pas soutenir ce mouvement. Nous ne pourrons pas empêcher les Juifs d’aller à Jérusalem, mais nous ne pouvons en aucun cas soutenir cela. Même si elle n’a pas toujours été sainte, la terre de Jérusalem a été sanctifiée par la vie de Jésus-Christ. En tant que chef de l’Église, je ne peux pas vous dire autre chose. Les Juifs n’ont pas reconnu Notre Seigneur, c’est pourquoi nous ne pouvons pas reconnaître le peuple juif. [...] Deux cas peuvent se présenter. Ou bien les Juifs restent fidèles à leur croyance et continuent d’attendre le Messie, qui pour nous est déjà venu. Dans ce cas, ils nient la divinité de Jésus, et nous ne pouvons rien faire pour eux. Ou bien ils vont là-bas sans aucune religion, et dans ce cas-là nous pouvons encore moins les soutenir. La religion juive a été remplacée par la doctrine du Christ, et dès lors nous ne pouvons plus reconnaître son existence. Les Juifs, qui auraient dû être les premiers à reconnaître Jésus-Christ, ne l’ont pas fait jusqu’à ce jour. [...] Ainsi, si vous allez en Palestine et si vous y installez votre peuple, nous préparerons des églises et des prêtres pour vous baptiser tous. » (Propos rapportés dans le Journal de Theodor Herzl.)

Cette position est réaffirmée par son successeur Benoît XV en 1917. En 1943, Mgr Cicognani, délégué apostolique à Washington, intervient auprès de Roosevelt pour empêcher l'établissement d'un État juif en Palestine. Aux arguments religieux de saint Pie X, il ajoute « Il est vrai qu’à une certaine époque, la Palestine était habitée par la race hébraïque, mais il n’y a pas d’axiome dans l’histoire pour justifier la nécessité d’un peuple retournant dans un pays qu’il avait quitté dix-neuf siècles auparavant » (lettre du 22 juin 1943). Au moment de la proclamation de l'État d’Israël, L'Osservatore Romano commente :  « La naissance d’Israël donne à Moscou une base au Proche-Orient à travers laquelle les microbes peuvent croître et se propager » (éditorial du 12 juin 1948).

Le pape Pie XII reste fidèle à la position traditionnelle : il s'abstient de toute reconnaissance envers le nouvel État et appelle à la paix ; dans son encyclique In multiplicibus du 24 octobre 1948, il demande aussi la création d'un statut international pour Jérusalem et ses environs. Dans l'encyclique Redemptoris nostri (15 avril 1949), il condamne « la profanation des édifices sacrés, des saintes images et des maisons de bienfaisance, ainsi que la destruction de pacifiques couvents des communautés religieuses », et le traitement infligé au peuple palestinien : « de très nombreux réfugiés de tout âge et de toute condition qui ont été refoulés par cette désastreuse guerre, dans des régions étrangères où, dans des camps de rassemblement, ils mènent une vie d’exilés, exposés à la misère, aux maladies contagieuses et à toutes sortes de dangers. [...] la situation de ces exilés est si incertaine et si précaire, qu’elle ne peut se prolonger plus longtemps. Aussi, en même temps que Nous exhortons et encourageons tous les grands et nobles cœurs à aider de toutes leurs forces ces expatriés, en proie au chagrin et à la misère, Nous adressons également un pressant appel à ceux qui en ont la responsabilité, pour que justice soit rendue à tous ceux qui, chassés loin de leurs foyers par le tourbillon de la guerre, ne désirent rien tant que de mener à nouveau une vie paisible. » Il ajoute : « Nous avons déjà affirmé solennellement dans Notre Lettre encyclique In Multiplicibus qu’il est tout à fait opportun de donner à Jérusalem et à ses environs, où se trouvent les vénérables souvenirs de la vie et de la mort du Sauveur, un régime établi et garanti par le droit international, régime qui, dans les circonstances présentes, paraît assurer d’une façon plus convenable et plus appropriée la protection de ces souvenirs sacrés. »

Au-delà des motifs religieux expliqués par saint Pie X et du soutien communiste envers les sionistes à cette époque, cette position s'explique aussi par la situation des Arabes chrétiens, chassés par les Juifs comme leurs compatriotes musulmans et qui, face à cela, soutiennent massivement le nationalisme palestinien.

En 1964, quand le pape Paul VI se rend en Palestine, il ne parle que d'un pèlerinage en Terre sainte et évite soigneusement toute forme de reconnaissance de l'entité sioniste. Néanmoins, le premier, il s'entretient avec le ministre israélien des affaires étrangères en 1969 et rencontre leur Premier ministre en 1973. Pour autant, il continue d'appeler à la paix, de défendre les réfugiés palestiniens et de demander un statut pour les lieux saints, sans succès.

La position officielle de l'Église change réellement avec Jean-Paul II, et cela pour des raisons théologiques. Contredisant ouvertement le Nouveau Testament, les Pères, les Docteurs et le magistère constant de l'Église jusqu'au concile Vatican II inclus, le nouveau pontife prétend, dans son discours du 17 novembre 1980 à Mayence, que l'Ancienne Alliance « n'a jamais été révoquée par Dieu » et est toujours d'actualité, les Juifs devenant pour les catholiques des « frères aînés »... Par conséquent, la reconnaissance de l'État d’Israël devient possible, ce qui fut fait en 1993. Cette reconnaissance n'a toutefois pas entraîné de la part du Vatican un soutien inconditionnel envers les sionistes, et les différents papes, de Jean-Paul II à Léon XIV, ont continué d'appeler à la paix et ont entretenu des relations diplomatiques avec l'État palestinien.

Cela étant dit, on a bien du mal à comprendre le sionisme inconditionnel de la plus grande partie de la droite catholique française, surtout depuis le fameux 7 octobre 2023 : au Rassemblement National (Laure Lavalette, Hervé de Lépinau) comme chez Les Républicains (Bruno Retailleau, François-Xavier Bellamy) en passant par Reconquête et ses dissidents (Marion Maréchal, Nicolas Bay, Philippe de Villiers), tout comme dans les médias conservateurs (Valeurs Actuelles, Boulevard Voltaire, mais aussi Le Salon beige, et évidemment l'ensemble des médias Bolloré), il n'y a qu'une seule voix pour soutenir la politique génocidaire de Netanyahou.

Cette position ne s'explique en réalité que par la situation migratoire et sécuritaire de la France : tout comme, en 1967, de nombreux partisans de l'Algérie française ont vu dans la victoire israélienne de la guerre des Six Jours une revanche contre les Arabes, la droite française actuelle, complètement obsédée par l'Islam, y voit une guerre de civilisation contre les musulmans. Le soldat de Tsahal tuant des enfants à Gaza venge le policier français se faisant caillasser par des racailles à Saint-Denis. Toute la complexité de la géopolitique leur échappe totalement et ils ignorent complètement, ou feignent d'ignorer, aussi bien l'existence d'Arabes chrétiens que le soutien d’Israël envers l’Azerbaïdjan musulman contre l'Arménie chrétienne ou ses bonnes relations avec les djihadistes actuellement au pouvoir à Damas. Ils oublient surtout que ce même « Etat Islamique » qui a commis des attentats en France était combattu férocement au Moyen-Orient par le Hezbollah, la Syrie de Bachar El-Assad (protectrice des chrétiens) et l'Iran, tous musulmans et ennemis d’Israël, tandis que l'État hébreu a constamment soutenu l'organisation terroriste.

Mais cet alignement systématique sur Israël procure de grands avantages : être exonéré de toute accusation d'antisémitisme, intervenir régulièrement dans les médias de Bolloré, et, surtout, recevoir la bénédiction du CRIF, elle seule permettant d'accéder à des responsabilités politiques dans notre belle République française. On se souvient que Pierre Sidos appelait déjà, en 1959, à « séparer la synagogue de l'État »...

Nous terminerons en citant Mgr Freppel, le grand évêque d'Angers au XIXe siècle, qui concluait ainsi son discours à la Chambre des députés contre le projet de loi d'Alfred Naquet sur le divorce, dans lequel il voyait un « mouvement sémitique »

« Allez, si vous le voulez, du côté d’Israël, allez vers les Juifs ! Nous restons, nous, du côté de l'Église et de la France ! »

 

Quentin Douté, Secrétaire général du Mouvement National-Catholique

 

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