La revanche de Dreyfus ?

Mardi 6 mai, le député des Hauts-de-Seine Gabriel Attal, ancien Premier ministre, a informé du dépôt d'une proposition de loi à l'Assemblée nationale visant à promouvoir le lieutenant-colonel Alfred Dreyfus, décédé depuis 90 ans, au grade de général de brigade.

À cette nouvelle, on ne peut s'empêcher d'esquisser un sourire, pas tant à cause de son auteur (seul un mauvais esprit rappellerait que la famille paternelle de Gabriel Nissim Attal est coreligionnaire de Dreyfus) qu'à cause de la proposition elle-même : la promotion à titre posthume est déjà discutable, mais a plus de sens lorsque la personne vient de mourir, ainsi pour le général de Lattre de Tassigny fait maréchal de France quelques jours après sa mort ou, plus près de nous, pour le lieutenant-colonel Beltrame fait colonel. Il y eut déjà des cas un peu plus discutables : le général Koenig, fait maréchal de France 14 ans après sa mort par Mitterrand, cela ressemblait beaucoup à une récupération politique par le président socialiste d'une personnalité gaulliste.

Aujourd'hui, cette récupération politique est assumée, puisque M. Attal précise que « l'antisémitisme qui frappa Alfred Dreyfus n'appartient pas à un passé révolu. Les actes de haine d'aujourd'hui rappellent que ce combat est toujours d'actualité » : en traduction, Dreyfus est enrôlé à titre posthume dans les rangs de Tsahal... Mais outre la justesse de la cause dans laquelle on l'engage, on peut tout de même s'interroger sur l'opportunité d'un tel honneur à un tel personnage.

En effet, rappelons qu'Alfred Dreyfus fut condamné à l'unanimité des juges le 22 décembre 1894 à la dégradation et à la déportation à perpétuité pour haute trahison, et que son pourvoi fut rejeté par la Cour de cassation le 31 décembre suivant. Rappelons aussi, notamment à M. Attal, que la France d'alors n'était pas dirigée par Édouard Drumont mais par un gouvernement mené par le très républicain et franc-maçon Charles Dupuy, le tout aussi républicain Jean Casimir-Périer étant président de la République et la gauche républicaine (note 1) étant majoritaire dans les deux chambres. Au sein de l'armée elle-même, et ce depuis alors une quinzaine d'années, il était d'usage de favoriser les carrières des officiers républicains et francs-maçons, dont était d'ailleurs le ministre de la guerre d'alors, le général Mercier. Celui-ci était si peu réputé antisémite qu'il avait été accusé par la droite, au mois d'août précédent, de favoriser les Juifs.

Rappelons aussi à ceux qui croient que Dreyfus fut condamné sur un faux, le fameux « faux Henry », que celui-ci ne fut forgé qu'en novembre 1896, soit deux ans après sa condamnation... Après que la révélation de ce faux eût éclaté, révélation faite par un ministre de la guerre antidreyfusard, Godefroy Cavaignac, et après la démission de celui-ci, se passa une chose assez extraordinaire : deux généraux successifs, les généraux Zurlinden et Chanoine, nommés ministres de la guerre dans un gouvernement alors dreyfusard comme convaincus de l'innocence de Dreyfus, changèrent tous deux complètement d'avis après avoir consulté le dossier (qui ne comportait plus à cette date le « faux Henry ») et durent démissionner ; il fallut nommer un pur politicien, le sénateur protestant Charles de Freycinet, pour arrêter l'hémorragie, et encore se tint-il lui-même autant que possible à l'écart de l'affaire.

Malgré une pression politique et médiatique énorme, le conseil de guerre de Rennes réuni pour blanchir Dreyfus le condamna de nouveau, le 9 septembre 1899, à 10 ans de réclusion, accordant seulement, comme concession aux pressions, d'absurdes « circonstances atténuantes »... Il fallut que dix jours plus tard, le président de la République Émile Loubet, franc-maçon dreyfusard et élu quelques mois plus tôt par les parlementaires sur ce seul critère, gracia le condamné : celui-ci ne demanda pas son reste et accepta la grâce même si elle sous-entendait sa culpabilité... Ce n'est qu'en 1906 que la Cour de cassation annula sans renvoi le jugement de Rennes, il n'y eut donc aucun procès sur le fond (la Cour de cassation ne jugeant que sur la forme) qui innocenta Dreyfus. Il est donc tout à fait vraisemblable qu'il s'agissait bien d'un traître.

Une seule consolation si ce ridicule projet d'Attal est mené à son terme : le terne et médiocre Dreyfus, probablement traître, sera plus gradé que le calamiteux colonel Charles de Gaulle, sa promotion au grade de général de brigade à titre temporaire ayant été annulé le 22 juin 1940...

Note 1 : Il s'agissait d'une gauche libérale et anticléricale, par opposition à la droite conservatrice et catholique, mais non de socialistes, ceux-ci étant alors l'extrême-gauche.

 

Quentin Douté, Secrétaire général du Mouvement National-Catholique

 

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